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mardi 23 février 2010

MARIAGE DAYAK A LA LONGHOUSE


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J’adore fêter la Noël à Kuching; je passe quasiment tout le mois de décembre à décorer la maison, de la cuisine aux chambres et la terrasse, surtout la terrasse. Il y a des années de cela, j’ai abandonné la tradition d’isolement à la française que je pratiquais religieusement lorsque mes deux fils étaient encore très jeunes, trop jeunes en tout cas pour exprimer une opinion sur la meilleure façon de fêter Noël. Dans mon esprit de jeune maman française, j’étais absolument convaincue qu’il était de mon devoir maternel de passer cette journée à me consacrer entièrement à mes enfants. Il ne m’a pas fallu plus de deux saisons après la naissance du cadet pour convenir enfin que les moments préférés de mes garçons étaient ceux où des visiteurs impromptus débarquaient chez nous (surprise !) pour nous présenter leurs meilleurs vœux et partager notre repas.

La tradition Malaisienne est d’ouvrir ses portes (open house) les jours de grandes fêtes, que ce soit pour la Noël, le nouvel an chinois, Hari Raya (la fin du ramadan) ou Gawai, la fête des récoltes dayak. Pour notre troisième Noël à Kuching, donc, nous avons ouvert nos portes. Depuis lors, à l’exception d’un retour en France pour le Millénium et deux escapades à Singapour et en Australie, nous n’avons jamais raté le rendez-vous open house de Noël pour recevoir chez nous. Le 25 décembre 2009, nous avons pourtant fait exception à l’occasion du mariage de la fille ainée de ma fidèle Judy.
Judy Anak Linda m’aide à faire face aux challenges de gérer notre propriété de Ko Ko Wangi depuis le jour où nous y avons emménagé il y déjà huit ans de ça. Je ne m’aventurerais jamais à organiser une “open house” qui attire désormais près de deux cent personnes sans l’aide de Judy. La meilleure chose à faire était donc de reporter nos efforts sur le mariage de Cecilia.

Cecilia et Basco

Le faire-part de mariage de Cecilia et de Basco était pour le 26 décembre à la longhouse d’Annah Rais, dans le fief Bidayuh de Padawan qui se trouve à un peu plus d’une heure de route de Kuching et moins encore de Ko Ko Wangi.                                                                                                                        Les Bidayuhs, que l’on surnomme aussi land dayaks, sont un peuple à l’esprit à la fois compliqué et particulièrement développé. Pensez y, ils forment un groupe ethnique homogène dont le territoire ne dépasse pas le département de la first division du Sarawak ; ils ont réussi néanmoins à créer pas moins de quatre dialectes!                                                                                                                                 Judy est originaire du village de Temong Mura sur le fleuve Sadong où l’on parle le bukar Sadong (la langue de Sadong) . Lorsqu’elle a épousé Wilson qui lui était d’Anah Rais, elle a du apprendre le dialecte biatah. Wilson quant à lui parvient à communiquer, plus ou moins bien, avec les gens de Bau qui s’expriment en Bau djagoi, mais c’est une autre paire de manches lorsqu’il doit converser avec sa belle famille, d’autant plus que ses connaissances de la langue nationale sont des plus pauvres. Par bonheur, la nouvelle génération Bidayuh apprend le Bahasa Malaysia à l’école, ce qui facilite désormais les conversations et les mariages entre les quatre groupes, même pour les peu doués en langues.

Les préparatifs pour le grand jour de Cécilia avaient commencés des mois au par-avant. Il y avait eu des réunions organisées à la longhouse d’Anah Rais; la première avait eu pour but de fixer la date du mariage (pour qu’elle ne coïncide pas avec celle d’un autre couple), puis d’autres ronding (réunions) suivirent afin de prévoir le nombre d’invités, comment les héberger pour une ou deux nuits, comment organiser la cérémonie, le banquet et tous les détails de la noce. Comme il est absolument capital de ne vexer personne, Judy et Wilson avaient fait imprimer des faire-part pour les deux familles, leurs proches et leurs amis et quasiment les populations toutes entières de trois villages (celui du marié, celui de Judy et bien sur celui d’Anah Rais). Nombre total d’invités attendus : un millier.

Le plus gros souci de Judy était de pouvoir servir nourrir tout ce monde. Elle avait donc investi dans l’achat de quelques centaines d’assiettes en plastic. Une cousine qui avait récemment marié sa fille avait contribué en en prêtant 500 de plus qui étaient venues s’ajouter à une grande quantité offerte par quelques unes de mes amies qui adorent Judy.                                                                             Un nombre limité de fourchettes et de cuillères seraient mis de coté pour les invités « spéciaux » comme nous et nos amis Helen et Lau tandis que les autres convives se serviraient de leurs mains, comme ils le font depuis toujours chez eux. Judy s’était prise bien à l’avance pour réunir un nombre impressionnant de gobelets en plastique et en papier.                                                                     Pour compléter la batterie de cuisine elle s’était appropriée mes plus grosses marmites (qui servent pour l’open house de Noël), mon énorme plateau en email peint de Chine, mes plus grands plats de service, mon mixer et autres objets utiles qui ne me viennent pas à l’esprit. Pour finir, notre contribution aux noces de Cécilia a été beaucoup plus modeste que celle que nous avions faite il y a quelques années de cela, presque sans nous en apercevoir, pour le mariage de Norayati, la nounou de nos fils qui avait quasiment vidé notre cuisine, s’était approprié nos chaises, le grand tapis du salon, mes produits de maquillage (surtout la marque Bourgeois parce que c’est français) et mes eaux de toilette (pour les exposer sur la coiffeuse de la chambre toute neuve des nouveaux mariés, ouverte aux invités) et même le cendrier en faïence de Moustier en Provence !
Je me souviens avoir passé prés d’une semaine avec mari et enfants dans une maison vide. Comme le frigo était tout ce qui nous restait dans la cuisine, nous en avions profité pour sortir diner tous les soirs en attendant le retour à notre vie normale. En fin de compte, nous avions bien profité de nos soirées et nous avions bien ri de nous être fait prendre au piège de l’adorable Norayati.


Au village d’Anah Rais, les ronding s’étaient succédés pour rappeler aux personnes concernées ce qui avait été décidé lors des ronding précédents. Le jour était finalement venu de réunir les volontaires aux gotong royong (travaux communautaires réservés aux hommes) pour renforcer les bambous du tanjung (terrasse extérieure), construire une estrade qui servirait de scène et bien sur aider aux cuisines, cette fois ci avec l’aide des femmes pour l’épluchage et la coupe des légumes.                                                                                               
La participation des hommes à la préparation d’un banquet est un travail de muscle : l’abatage des cochons et des poulets, le dépeçage pour commencer avant de devoir remuer les quantités énormes de ragouts qui mijotent dans des woks géants dont on pourrait jurer qu’ils ont appartenu à un ogre, avant de transférer le tout dans les marmites européennes (mes marmites !) qui seront utilisées pour le service.

Le soir de la fête, un groupe de 12 hommes s’était aligné derrière une longue table buffet, chacun était responsable d’une marmite ou d’une série de grands plats. Louche en main ils se tenaient prêts à servir la foule d’invités qui défilaient à la queue leu-leu et présentaient leur assiette pour y empiler du riz blanc ou du riz cuit dans du bambou, ou du nasi bunkus (riz cuit enveloppé dans des feuilles), des meehoon goreng (nouilles frites), du porc sauce soja, des cotes de porc cuites aux légumes salés, de l’ayam curry (curry de poulet) et ayam masak merah (poulet en sauce tomate), des œufs durs sauce tomate, des poissons salés couverts de sauce pimentée. Il y avait aussi des légumes assortis mais sans carottes, parce que quelqu’un les avait complètement oubliées. Une fois retrouvées, les carottes avaient été recyclées dans la salade à la mode Dayak avec des morceaux d’ananas, de radis, d’oignons, de concombres et de gros piments rouges. Judy m’a confié que la vinaigrette était un concoction de vinaigre blanc, de sel et de sucre. Pour finir, tout en bout de table, une montagne de melons coupés en tranches assurait le dessert.


Le temps à Bornéo en période de Noël est absolument imprévisible. Le sort voulu que le ciel nous tomba sur la tête dès notre arrivée à Anah Rais. Chez moi en Provence, on dit que la pluie sur un mariage est signe de prospérité ; je ne suis pas sure qu’il s’agisse de finance ou de progéniture ? Je ferai de mon mieux pour tenir mes lecteurs informés dans le cas de Cécilia et Basco. Quant aux douches intermittentes qui durèrent toute la soirée, soyez rassuré, elles n’ont pas même entamé l’humeur festive.

Ce soir là Cécilia, qui a de long cheveux noirs, avait été coiffée très élégamment par une styliste de Siburan ; elle portait une robe longue en satin rose pale avec juste ce qu’il fallait de brillants pour laisser deviner si la mariée était innocente ou bien ensorcelante lorsqu’elle ouvrit le bal, au sec sous un large morceau de toiture.                                                                                                                  
La première partie de la fête avait été la cérémonie de l’union en mariage telle que les Bidayuh la pratiquent depuis mémoire d’ancêtre. Ce n’est pas une sanctification religieuse; les chefs des trois villages concernés viennent tour à tour réciter des recommandations et de bons conseils au couple. Tous les invités peuvent écouter (et prendre les conseils à leur compte) les messages retransmis par des enceintes haut-parleurs. La liste interminable permettra aux jeunes mariés qui l’appliqueront de réussir leur vie de couple et d’être bons parents ; ils se doivent d’écouter ces litanies pendant près de deux heures et d’assimiler ces conseils en avalant une boulette de riz pour chaque recommandation. Quelle belle façon d’absorber ses vœux de mariage !

La piece montee

Nasi = Riz

Une fois la cérémonie terminée, les invités avaient pris leur tour pour venir féliciter les jeunes époux et prendre des photos avec les mariés, debout autour du gâteau à trois étages, couleur bleu azur et rose garni de petits cœurs jaunes en pate d’amande. Avec Ian j’avais rejoint la queue pour aller embrasser Cécilia puis nous nous étions laissés guider par les aromes alléchants qui provenaient du buffet. J’avais choisi le riz cuit dans le bambou et m’étais fait servir deux sortes de poulet et une louchée de porc en sauce, puis je m’étais retrouvée hésitante devant les cotes de porc ; mais le guerrier tatoué qui servait ce soir là n’avait pas l’air d’humeur à accepter mon refus (ils sont susceptibles ces Bidayuhs !). « Ce n’est pas la même chose que l’autre plat de porc » m’avait-il assurée. Loin de moi l’idée de le contrarier, j’ai pris les cotes de porc et je ne l’ai pas regretté, tout était absolument délicieux.
A table? chez Judy

La queue du buffet
Tandis que l’équipe désignée à la plonge se démenait pour ne pas se laisser envahir pas les assiettes vidées de leur contenu, bon nombre d’invités s’étaient mis à danser. J’avais rejoint Helen devant la scène sur la terrasse en bambou trempée par le déluge intermittent et noyée par des rayons lasers de couleur qui filtraient à travers une épaisse fumée artificielle. Lorsque l’orchestre ne jouait pas, un DJ prenait le relais en annonçant en bahasa Malaysia les tops malaisiens du moment, Taylor Swift et évidement Michael Jackson, sans omettre de jouer, à intervalles réguliers, « Congratulations », le tube de Cliff Richard, inévitable pour ce genre d’occasion. Nous nous sommes donc retrouvées, Helen et moi, entourées d’une foule survoltée de jeunes en jeans et de grand-mères en baju kebaya (tunique à manches longues portée sur un sarong long).
Lorsque plus tard dans la soirée, la pluie est revenue encore plus forte, elle n’a pas réussi à chasser les danseurs. Nous sommes partis discrètement juste avant minuit mais la fête à continué bon train jusqu’à sept heures le lendemain matin, probablement lorsque le dernier danseur s’est affalé épuisé sur la natte la plus proche.

Cécilia and Basco, je vous adresse mes meilleurs souhaits ; l’an prochain nous fêterons votre premier anniversaire de mariage le jour de Noël, chez nous à Ko Ko Wangi où nous aurons open house !

La prière ci-dessous était imprimée sur les faire-part de Cecilia et Basco, elle est en bahasa malaysia.



“Ya Tuhanku, Seandainya Telah

Kau Catatkan Dia Milikku,

Terciptabuatku, Dekatkanlah Dia

Padaku, Satukan

Hatinya Dengan Hatiku,

Titipkanlah Kemesraan Di Antara

Kami Agar Kebahagiaan

Itu Abadi. Dan Tuhanku yan

Maha Pengasih,

Seiringkanlah Kami Dalam

Melayari Ketepian Yang

Sejahtera, Sepertimana Yang Kau

Kehendaki”

AMEN

Traduction:

Cher Dieu,

Que ta volonté sois faite et que je lui appartienne,

Qu’il (elle) ait été créé(e) pour moi,

Que tu nous rapproches l’un de l’autre,

Que tu unisses sa moitié à la mienne,

Que tu renforces la joie entre nous,

Pour que notre bonheur soit sincère

Et Seigneur tout puissant et aimant

Unis nos deux vies dans la paix,

Ainsi soit-il.

AMEN.

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