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mardi 15 décembre 2009

DES CROCODILES ET DES HOMMES

J’adore les animaux, pourtant j’ai toujours eu du mal à apprécier les crocodiles, à l’exception bien sûr du personnage de dessin animé Wally Gator et de l’ennemi juré du capitaine Crochet, tic, tac, tic, tac… Pour être toute à fait franche, je dois avouer que malgré mon enthousiasme pour la protection de la faune terrestre en général, je suis tout simplement incapable de compassion envers l’ordre crocodilien. Mon ami Johnson Jong, quant à lui, voit les choses autrement : c’est un passionné de longue date pour ces reptiles aquatiques. Il les collectionne et les élève avec leurs cousins à gueule étroite les gavials (ou gharials) dans sa propre Ferme aux Crocodiles, la Jong’s Crocodile Farm, à mi chemin entre Kuching et la ville de Serian. A l’occasion, Johnson chasse aussi les mangeurs d’hommes et d’enfants.

Un Gavial

N’importe quel vieux croco du Sarawak serait d’accord pour dire que Johnson n’a décidemment rien d’un poltron. Je l’ai vu, de mes yeux vu, se faufiler le long de la berge boueuse et glissante d’un immense bassin d’élevage, pour aller vérifier la température des œufs dans leur nid, s’assurer qu’ils étaient presque à terme, et filer en catastrophe avec à peine assez de temps pour grimper sur une passerelle en planches brinquebalantes et échapper de justesse aux mâchoires d’une future maman courroucée. Je me souviens aussi d’un jour où Johnson avait failli perdre un mollet ; aujourd’hui encore, il est tout à fait persuadé qu’il finira comme le capitaine Crochet, ne laissant que sa Rolex pour confirmer son sort final dans le ventre de l’un de ses pensionnaires. Pour ceux parmi mes lecteurs qui seraient tentés d’imaginer un crocodile se léchant les babines après un tel banquet, je vous arrête immédiatement : les crocodiles n’ont pas de langue et ils n’ont pas de babines non plus. Vraiment.

Les crocodiles sont des archosauriens, autrement dit des fossiles vivants qui nous restent de l’ère des dinosaures. S’il vous arrive jamais de vous retrouver face à face avec un crocodylus (en espérant pour vous que ce sera à travers une grille solide), l’armure en écailles géantes qui recouvre leur corps tout entier et les énormes crocs de prédateur qui dépassent de la mâchoire inferieure ne vous laisseront aucun doute sur leur origine préhistorique et comment ils ont survécu. Ils se nourrissent de poissons et de mammifères relativement grands, comme nous par exemple.

Pour Johnson les crocodiles ne sont pas simplement « big business » mais une passion incurable. Un jour où mon mari lui racontait l’une de ses rencontres terrifiantes, alors qu’il était enfant, avec les crocodiles du fleuve Saribas, Johnson le supplia d’organiser une expédition nocturne à bord d’une pirogue où ils se seraient embarqués équipés de lampes torches pour repérer les yeux reptiliens à la surface de l’eau. L’expédition ne s’est jamais réalisée et je ne suis pas veuve. La partie de chasse la plus mémorable s’est déroulée dans les années quatre vingt dix alors que Johnson avait dû prêter assistance à un groupe de villageois sur les bords du fleuve Batang Lupar. Il s’agissait de débusquer puis éliminer un crocodile gigantesque et insaisissable baptisé Bujang Senang (le célibataire) qui, en fin de compte, s’avéra être une femelle. Bujang Senang était un monstre marqué, chose étrange, d’une énorme bande blanche sur toute la longueur de son dos et jusqu’au bout de la queue. Ce prédateur de six mètres de long avait imposé un règne de terreur aux riverains ; il leur avait pris plusieurs enfants. Un quotidien de Kuching avait publié une photo du crocodile géant étendu aux pieds des villageois, certains armés de fusils, qui ne dissimulaient pas le plaisir de leur victoire méritée dans une chasse justifiée. La capture de Bujang Senang avait certes rendu justice aux villageois qui en retour allaient désormais rendre honneur à l’âme de leur ennemi défunt.


Quelques jours plus tard le sort voulu qu’un Iban fana de football se rendit depuis son village éloigné, à Kuching pour assister à un match crucial. Alors qu’il conduisait, il aperçu un jeune homme auto-stoppeur ; il se dit qu’un peu de compagnie serait certainement bienvenue ; il prit le passager et bien sur ils parlèrent de foot. Le jeune homme déclara enfin qu’il pouvait prédire quelle équipe allait gagner ce soir là et par combien de goals. Ce serait l’équipe du Sarawak. « Tu peux me croire » assura-t-il au chauffeur ; puis il demanda à être déposé sur le pont de la Batang Lupar. A peine le conducteur regarda-t-il dans le rétroviseur que, bizarrement, l’auto-stoppeur avait déjà disparu, mais où ça? Ce soir là, les prédictions furent réalisées et le supporter Iban de relater sa rencontre à qui voulait bien l’entendre, c'est-à-dire à une foule considérable. Lorsque, finalement, la presse s’empara de l’histoire, le supporter était devenu absolument convaincu qu’il avait pris en stop la réincarnation de Bujang Senang lui-même. Une légende était née et c’est depuis ce jour là que l’équipe de football du Sarawak a pris à son compte le nom « Bujang Senang » et que désormais, à chaque match, des milliers de supporters scandent le nom du crocodile géant.

Pix envoyee par Emerick Hervier

Tous les habitants de Bornéo croient aux esprits. Ils croient aussi que ceux ci vivent au sein de la nature et souvent dans le corps des animaux ; qu’ils ont le pouvoir de détruire une vie et même infliger la mort ou au contraire de porter bonheur. Mon ami Sek Hua, qui ne sait voir que le bon coté des choses, croit fermement que les crocodiles peuvent porter chance, tout au moins dans des circonstances sortant de l’ordinaire. Il parle par expérience, lui qui doit être le seul homme sur la planète à avoir pris une douche (chaude, d’après lui) découlée directement de la vessie d’un croco, un jour où il s’était retrouvé la tête chargée de l’arrière-train d’un reptile adulte, au préalable calmé d’un sédatif et muselé, que Johnson avait décidé de transférer dans un nouveau bassin. Si ça ce n’est pas de la chance…?

Récemment, alors que je passais un bon moment à lire Tropical Affairs (Episodes de la vie d’un expat en Malaisie), j’ai découvert que l’auteur (et mon ami), Robert Raymer (http://borneoexpatwriter.blogspot.com/link%29 s’était retrouvé un jour avec un crocodile vivant dans les bras ! Cela s’était passé lors d’une séance photos sur le plateau d’un film où il avait un rôle d’extra. Mes exploits les plus audacieux devant un objectif comptent d’avoir porté un Artictis Binturun sur une épaule, un python adulte qui pesait une tonne autour de mon cou et une araignée tout ce qu’il y avait de plus « vulgarus » dans la paume de ma main (pour lutter contre ma phobie). L’Artictic Binturun est un mammifère de la taille d’un cocker qui aurait la tête d’un chat et le corps d’un ours. Ces caractéristiques lui ont valu le nom de bear-cat (ours-chat). Esmeralda était une femelle bear-cat que j’avais sauvée de la noyade dans un caniveau profond ; elle dansait comme un ours tzigane et se nourrissait entièrement de fruits. Non, vraiment je n’aime pas les crocodiles et je laisse volontiers le plaisir de leur compagnie à Johnson, Robert et Sek Hua ; ceci dit et malgré les frissons d’effroi et de répulsion que ces bêtes provoquent en moi, je leur dois pourtant un succès infaillible au près des touristes à qui j’adore raconter d’abord que l’esprit de Bujang Senang supporte l’équipe de football du Sarawak et surtout, comment un jour une vieille dame française qui faisait partie d’un groupe que j’escortais, a échappé à mon attention lors d’un arrêt sur le pont de la Batang Lupar, a descendu la rive escarpée, s’est mise à l’eau pour nager à l’heure même où les gros reptiles se mettent à chasser leur repas et comment enfin, tous les crocodiles présents lui ont respectueusement cédé le passage dès qu’ils ont reconnu la grand-mère Lacoste.
L’Artictic Binturun

Mon ami le pithon