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Je n’ai jamais su son
nom, et je n’ai jamais même songé à le lui demander. C’était le « Tuai
Rumah » le chef de la longhouse de Kacong (prononcer catchon) sur la rivière
Lemanak, à quelques heures de pirogues, de rapides et de marche à partir de la
longhouse de Kesit.
Sur cette photo prise il
y a une quinzaine d’années, il devait avoir soixante quinze ans ; mais les
apparences trompent, surtout chez les indigènes de Bornéo ; il aurait pu
tout aussi bien n’avoir que soixante ans.
La longhouse de Kacong était
assez modeste ; elle n’avait qu’une dizaine de portes ; mais elle
avait un charme infini, blottie sagement dans la vallée au bord de la rivière
aux eaux claires. Malgré la distance et les difficultés (les rapides !)
pour y accéder, j’avais pris gout à m’y rendre régulièrement et à y amener des
touristes.
Lorsque une équipe de télé
française m’avait contactée et demandé de les aider à trouver une vedette pour
un épisode de « Faut Pas Rêver », que cette vedette devrait être une longhouse,
Kacong avait été mon premier choix. L’équipe avait été ravie, le site était divin
et l’accueil chaleureux.
Le lendemain de notre arrivée,
le directeur d’équipe était très enthousiaste ; son histoire prenait forme
autour de la vedette (la longhouse) ; il souhaitait à présent demander au
Tuai Rumah de participer devant la caméra. Il n’osait pas ; le vieil homme
avait l’air si frêle sur ses jambes couvertes de tatouages couleur lavande.
La veille à peine, Tuai
Rumah avait charmé l’équipe de son histoire que j’avais traduite dans un micro
discret. Il était venu d’ailleurs (je pense du Kalimantan) avec son peuple,
alors qu’il était un tout jeune chef. Il avait fait un rêve particulièrement
intense dont il avait parlé au Manan (sorcier) qui avait reconnu une prémonition :
trois hommes chauves lui avaient recommandé de mener son peuple dans une autre contrée
et lui avaient indiqué la direction à prendre.
Il y avait eu un ‘ronding ‘
(réunion) durant lequel il avait relaté son rêve tandis que le Manan avait interprété.
La décision avait été prise en commun et par tout le village ; ils étaient partis guidés par leur foi qui les
avait guidés jusqu'à ce site sur la rivière Lemanak.
J’avais demandé au chef,
si cette exode avait été une bonne décision ? Il m’avait répondu qu’ils
avaient vécu en paix (malgré l’insurrection communiste !), que le riz, les
fruits, les sangliers et les poissons n’avaient jamais manqué.
Nous étions un petit groupe
assis sur la natte du chef, au centre du « ruai » la véranda intérieure
où les visiteurs sont reçus et où ils dorment la nuit venue. J’étais assis à la
droite du chef, un autre homme de la longhouse à sa gauche et le directeur
documentaire face à nous et entouré de plusieurs femmes curieuses et de leurs
jeunes enfants. Lorsque je trouvais difficile de parler au chef en dialecte
Iban, son assistant était là pour m’aider (nous communiquions en Malais).
Se sentait il de
participer activement au cours métrage ? Pourrait-il grimper, sur une
distance courte, le flanc de la colline prés de la longhouse ?
Il n’avait pas répondu
tout de suite et il m’avait semblé, l’espace de quelques secondes, voir
paraitre l’expression d’un un malin plaisir. Il me regarda enfin et pris ma
main dans la sienne, enfin il nous donna sa réponse : « Inti nuan
pegai tangan aku » (si tu me tiens la main).
Notes :
. La longhouse de Kesit
et ses habitants, mes amis, avaient eux aussi été le sujet du même épisode de
Faut Pas Rêver.
. Mon ami le Tuai Rumah
de Kacong a quittés son village ; il apparait désormais dans les rêves du
nouveau chef.
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