L’Institute of Technology Mara (ITM) m’avait semblé être le choix idéal pour ce que les américains appellent une « win-win situation » ; autrement dit j’avais besoin d’eux et ils avaient besoin de licenciés en anglais, comme moi. J’avais donc été convoquée pour une entrevue à laquelle je devais me présenter avec mes diplômes. Le jour dit je m’étais retrouvée assise sur une chaise en bois au dossier parfaitement raide, placée de manière stratégique au milieu d’une salle, face à une rangée de bustes masculins dont le reste du corps était dissimulé par la nappe en feutrine vert foncé qui recouvrait la table derrière laquelle ils étaient assis. L’image du Dernier Souper m’était furtivement venue à l’esprit; j’espérais ne pas être la pièce de résistance.
Malgré ma position de vulnérabilité, j’avais refusé de me laisser intimider, pas même par le « colonel » en uniforme vert sauterelle garni de galons dorés. Le pompon rouge qui pendait de son béret devait certainement le chatouiller et je peinais pour lui, toutefois c’était un détail qui avait réussi à dédramatiser la scène dont je faisais partie; je me rappelais qu’après tout il ne s’agissait pas d’un interrogatoire mais d’une entrevue à laquelle je participais de mon plein gré pour avoir postulé à un poste de professeur d’anglais. Quant au « colonel » il m’avait l’air de s’être échappé d’une fanfare.
Ces hommes tout à fait sérieux avaient fait le voyage depuis Kuala Lumpur, pour évaluer les candidats. Ils avaient commencé par me poser quelques questions sur les conjugaisons et je me souviens les avoir semés dans ma réponse enthousiaste sur des différences entre le past perfect simple et le past perfect progressive.
Ils me demandèrent ensuite, sans doute pour se venger, d’expliquer pourquoi les anglais prononcent « but » « bat » et « put » « pout ». A dire vrai, je n’en avais aucune idée alors et comme depuis je n’ai jamais eu assez de temps à perdre pour chercher la réponse à cette question je l’ignore encore.
Mes interrogateurs attendaient pourtant une réponse qui allait peut être décider de l’obtention de mon poste. Enfin j’avais choisi, en toute honnêteté, de laisser parler mon bon sens ; que le rôle d’un enseignant n’est pas de tout savoir et qu’au contraire le fait d’ignorer la réponse à une question peut être l’occasion d’inviter les étudiants à la participation. Ma réponse avait creusé un fossé immédiat entre ma chaise et la table de mes juges.
« Vous admettez devant vos élèves que vous ne savez pas ? !»
Pour des hommes qui aimaient parader en uniforme alors qu’ils n’avaient sans doute jamais fait partie de l’armée, c’était du jamais vu, du jamais entendu. Je devais venir d’une autre planète, la planète Perancis, prononcer pérantchiss, France.
« En Perancis on ne parle pas l’anglais, kah ? »
« Vos diplômes, ils ne sont reconnus qu’en France, kah ? »
Ce n’était pas le moment de perdre mon cool :
« Les diplômes d’universités françaises sont reconnus internationalement, Sir. »
« Pas en Malaisie, lah. »
J’avais eu la sagesse d’en rester au « no comment » ; fin de la conversation, « exit » Annie. Toujours optimiste, je leur avais néanmoins laissé les photocopies de mes diplômes.
Quelques jours plus tard quelle n’avait été ma surprise que de recevoir un message téléphonique transmis par une voisine : je pouvais passer à l’Institute pour prendre mon emploi du temps. Cocorico !
A ITM j’enseignais la grammaire anglaise aux jeunes bumiputras (malais et dayaks) pendant la journée et la rédaction administrative aux adultes le soir.
Mes élèves s’appelaient Mohamad, Kennedy, Mendelssohn, Rentap (héro Iban) et même Hitler. Ils n’étaient pas du genre studieux mais ils étaient tous adorables et respectueux, même Hitler.
Tous les campus d’ITM n’offraient pas les mêmes diplômes et celui de Kuching attirait aussi des Malais de la péninsule et des kadazans du Sabah.
Les Sarawakiens apprennent très jeunes à pratiquer l’art de l’hospitalité dont ils sont très fiers. Mes élèves dayaks n’avaient pas voulu laisser les malais du continent ni les sabahans repartir de Kuching sans leur avoir d’abord offert le grand tour : un séjour dans une longhouse iban. Dès le mois de février j’avais été conviée à une grande réunion organisée et présidée par Rentap et ses copains de classe ibans. Le comité était tombé d’accord sur une date : le week-end de Pâques.
Ma mission, si je choisissais de l’accepter, allait être de me charger de la logistique. Mon enthousiasme était à son maximum rien qu’à l’idée de partir chez les dayaks et j’avais accepté immédiatement sans savoir exactement ce à quoi je venais de m’engager. Grâce à Rentap et à son équipe j’allais enfin découvrir Bornéo au delà de Kuching. (...)
Pour lire la suite de mon histoire, telechargez mon ebook.
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"le comité d’accueil nous attendait au pied du tangga, l’échelle
d’accès creusée dans un tronc dont le haut est sculpté en forme de tête."
LeTangga |
« Vous admettez devant vos élèves que vous ne savez pas ? !» Avec mes eleves "uniformises" de l'Institute of Technology MARA. Eux en quaki et moi en zebre pour une classe d'anglais. |
Mes élèves dayaks n’avaient pas voulu laisser les malais du continent ni les sabahans repartir de Kuching sans leur avoir d’abord offert le grand tour : un séjour dans une longhouse iban. |
Grâce à Rentap et à son équipe j’allais enfin découvrir Bornéo au delà de Kuching. Tony Rentap et sa grand-mere. |
Le foyer de la cuisine était soutenu par un grand échafaudage à deux étages fait de grosses branches solides. Minah dans sa cuisine |
Je me suis portee volontaire pour la corvee de vaisselle du bout du monde. |
A vrai dire je n’avais aucune idée du protocole vestimentaire pour aller se baigner dans la rivière, toutefois je me doutais que le port du bikini n’était pas en vogue ici. |
Je m’étais retrouvée véritable princesse iban assise sur un trône qui n’était rien de moins qu’un énorme gong ancestral, le prix de quelque échange de grande valeur avec des commerçants chinois d’antan. "PARTIE A BORNEO" est en ebook |